Je suis toujours sous le choc. Les émotions se bousculent, un tas de réflexions m’arrivent en vrac et je suis dans l’incapacité d’analyser quoi que ce soit objectivement. Certaines de ces pensées restent claires pourtant…
Je ressens une douleur pour les grands noms de Charlie Hebdo qui sont « morts au combat » d’une liberté d’expression bafouée ces dernières années de tous côtés. Les assaillants ont voulu les tuer, eux et leurs idées. En réalité, ils en ont fait d’immortels symboles du droit de rire de tout.
Je ressens de la douleur pour les policiers et les agents des forces de l’ordre. Messieurs/mesdames, c’est vrai que en tant que « dissident » j’ai pu voir votre côté obscur, provocateur, violent parfois, mais en cet instant, je ne peux que penser à l’humain derrière chacun de ces noms et compatir. La mort de vos collègues policiers a été un choc pour tous et nous avons soudainement pris conscience des dangers auxquels vous pouvez faire face au quotidien. Dans ces moments, je mets de côté nos querelles, nos différences, les bavures et tout cela car je sais que les mauvaises exemples sont le fait d’une infime minorité au sein de vos services et je ne voudrais pas « faire l’amalgame ». Ces faits terribles me donnent envie d’une union citoyens/forces de l’ordre afin de combattre l’injustice, d’où qu’elle vienne.
Je ressens de la douleur pour les familles et les proches des victimes. Les mots ne peuvent exprimer mes sentiments. Je ne peux que verser une larme en pensant à eux, et leur dire qu’ils doivent être fier de ceux qu’ils viennent de perdre et qu’ils resteront vivants dans la tête de millions de gens. Ils sont immortels à présent.
Je ressens de l’empathie pour ces musulmans français ou d’ailleurs, dégoûtés de ce qu’ils ont vu. Ils souffrent en voyant leur foi salie d’une telle manière et craignent des conséquences d’un tel acte. J’espère que demain, ils n’auront pas besoin de se justifier à chaque instant, devant montrer patte blanche auprès de ceux qui ont peur et réagissent sans pondération. J’espère que nous autres, ne caricaturerons pas tous les musulmans avec des ceintures d’explosifs. Hormis une infime minorité non représentative, l’immense majorité de la communauté musulmane condamne très fermement cet acte barbare de la même façon que vous et moi, ne l’oublions pas.
Soudainement, je me suis mis aussi à la place de ceux qui sont terrorisés au quotidien, qu’ils soient en Afghanistan, Irak, Syrie, Libye ou ailleurs dans le monde. J’ai les images que Wikileaks nous a permit de découvrir, où l’on voit des soldats américains tuer des civiles Irakiens à cause d’un simple geste ou d’une décision précipité. Je pense à tous ces guerres « libératrices » ou pas, je pense à tous ces victimes de terroristes et en voyant ce psychopathe tuer de sang froid un policier, j’ai vu un monstre d’une violence extrême à nos yeux, mais cette violence n’a rien d’extrême dans beaucoup d’endroits sur notre planète, c’est même leur quotidien. Depuis, une question torture mon esprit. Qu’est ce qui peut transformer un homme qui un jour a été un enfant innocent comme vous et moi, en ce monstre que j’ai pu voir dans les images ? Mais mon esprit est trop traumatisé pour trouver une réponse cohérente à cause d’une peine trop importante qui rend toute analyse objective impossible.
Ceci dit, l’image prémonitoire de Charb dans laquelle il dessine un terroriste qui menace de ses « vœux de nouvel an » avant la fin Janvier, équipé d’une arme automatique semblable à celle qui a tué le créateur de ce dessin est fixée dans mon esprit. Charb, désormais propulsé représentant la liberté du monde occidental, aura ainsi caricaturé son propre faucheur… Une ironie presque poétique qui pousse à des réflexions très profondes sur les origines de ces monstres qui ont blessé des millions d’âmes et les fondements de notre société…
Je ressens de la peine face à ceux qui réagissent à chaud, face à ceux qui vont utiliser ces événements pour nous diviser, face à ceux qui utilisent ces horribles événements pour élever leur audimat en racontant tout et n’importe quoi et en oubliant soigneusement les vrais messages d’union, face aux les charognards qui ont saisi l’opportunité de vendre des tee-shirts « Je suis Charlie » pour montrer votre empathie, face aux charognards qui vont utiliser ces événements pour gagner des votes…
J’ai de la peine face à ceux qui poussent à choisir un camps toute de suite, sous le coup de l’émotion et j’ai aussi de la peine pour ceux qui vont le faire… Nous ne devons pas tomber dans le piège du « Vous êtes avec nous ou avec les terroristes », piège « Bushien » qui élimine tout forme d’esprit critique et d’analyse à froid. Il n’y a pas de choix à faire. Malgré les différences de nos points de vues, nous sommes tous touchés par cette atrocité. Malgré les différences de nos points de vues, nous sommes tous touchés par cette injustice. Notre liberté ne doit pas être compromise, ni par des extrémistes radicaux à la gâchette facile, ni par des lois liberticides qui utiliseront ce prétexte afin de nous « protéger » en supprimant une partie de nos libertés. Soyons dans la Réflexion et non dans la Réaction. Plus facile à dire qu’à faire évidemment, mais il n’est jamais bon de prendre des décisions, de choisir un camps ou de réagir sous l’influence des émotions. Il est indispensable de garder cette pensée dans un coin de sa tête. La stratégie du choc n’est pas un mythe.
J’ai envie, en tant qu’être humain, d’utiliser cette expérience pour grandir…
On dit souvent que ce qui ne nous tue pas, nous rend plus forts … c’est vrai. J’ai envie que cette expérience unisse les gens, peu importe leur différences culturelles, leurs origines, leurs orientations sexuelles. Qu’elle soude les humains que nous sommes sous une seule phrase de bon sens « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse », la loi universelle du bien. Il ne peut y avoir de paix autrement que par ce biais.
Enlevons donc tous les masques que cette société nous impose : celui des communautés, de nos convictions religieuses, de nos positions sociales, de nos convictions politiques, de nos situations professionnelles, de nos orientations sexuelles, de nos communautés culturelles… Enlevons ces putains de masques que la société nous impose et unissons-nous tous au nom de ce que nous cachons derrière ces masques.
Unissons nous au nom de l’être humain que nous sommes derrière toutes ces couches imperméables, construites par une société qui divise, une société qui est à l’origine même de la création de ces monstres. Faisons le au nom de Charb, Cabu, Georges Wolinski, Tignous, Bernard Maris, Honoré, Michel Renaud, Frank Brinsolaro, Ahmed Merabet, Moustapha Ourrad, Fréderic Boisseau et Elsa Cayat, des gens qui sont morts en faisant leur devoir, des gens qui sont mort debout, posés sur les jambes solides de leurs convictions, de leurs valeurs humaines et d’une liberté d’expression intouchable (et non élastique), des symboles qui sont à présent immortels.